La version du projet de loi (PJL) d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture adopté par l’Assemblée nationale le 28 mai 2024 fixe pour la France, de manière non contraignante, l’objectif de compter au moins 400 000 exploitations agricoles et 500 000 exploitants agricoles au terme de la période de programmation 2025-2035. Les députés renvoient au dernier recensement agricole opéré en 2020, lequel dénombrait 496 000 exploitants agricoles pour 389 000 exploitations en France métropolitaine.

L’objectif chiffré a donc le mérite de fixer un cap, celui de ne pas poursuivre la trajectoire d’érosion, d’autant plus que la moitié des exploitations agricoles vont changer de main dans les 10 prochaines années. Mais l’objectif fait abstraction de toute notion de santé économique. Seront-elles viables et vivables ?
Et comment prétendre administrer un nombre de fermes et d’agriculteurs, quand l’État est finalement impuissant à améliorer l’attractivité du métier qui passe notamment par des prix rémunérateurs ?

La loi indique que : « les politiques publiques mises en œuvre de 2025 à 2035 favorisent la création, l’adaptation et la transmission des exploitations agricoles et le développement des pratiques agroécologiques, dont l’agriculture biologique, tout en prenant en compte les attentes sociales et professionnelles des personnes qui souhaitent s’engager dans les métiers de l’agriculture et de l’alimentation et la diversité des profils concernés ». Il est également demandé à l’État de contrôler les phénomènes d’agrandissement et de rendre le foncier accessible aux candidats à l’installation.

 

Ces prises en compte sont intéressantes, ces mesures font l’impasse sur un élément pourtant fondamental : le revenu.

La Coordination Rurale (CR) note avec satisfaction que cette notion est enfin abordée à plusieurs reprises. En effet, la « juste rémunération » est identifiée comme un facteur permettant de répondre aux « enjeux de l’attractivité pour assurer le renouvellement des générations, de compétitivité des systèmes d’exploitation agricoles, de qualité de vie et de transition agroécologique ».

Par contre, cette notion de « juste rémunération » n’est définie ni juridiquement, ni économiquement. Si inscrire la « juste rémunération » dans la loi peut être un motif de satisfaction, sans mesures concrètes permettant de l’atteindre, cela ne peut pas être un motif de soulagement ni une garantie.

En effet, la CR rappelle que la PAC a notamment pour objectif « d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture ». Ce ne sont, à ce jour, que des mots.
La question du revenu agricole est bien identifiée dans un projet de loi qui n’entend pas la traiter. La problématique est renvoyé à la prochaine mouture d’Egalim dont la 4e version devrait être discutée au plus tôt à l’automne. Et malgré les timides progrès de la précédente trilogie Egalim, la CR se demande, non sans ironie, quelle série ratant aussi manifestement sa cible pourrait se targuer d’afficher autant d’épisodes ?

Quant aux grandes cultures, Egalim ne les concerne pas (puisqu’à la demande des interprofessions, elles bénéficient d’une dérogation), mais cela vérifie la position historique de la CR : par une exception agriculturelle, il faut sortir l’agriculture des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour avoir une chance de de remettre de la régulation et de la protection dans nos marchés agricoles. Une loi franco-française comme Egalim, d’autant plus sur des marchés très ouverts comme les céréales et oléoprotéagineux, a peu de chance d’être fonctionnelle.
La question du revenu n’est donc qu’effleurée dans le PJL. Aucune de ces dimensions n’est abordée au delà de la bonne intention, que ce soit : une meilleure prise en compte des coûts de production, la position dans la chaîne de valeur, l’organisation des producteurs de manière transversale, la régulation, la protection efficace aux frontières face aux distorsions de concurrence ou même une priorisation de la provenance nationale dans les commandes publiques.

Les pratiques des industriels (privés ou coops) et surtout les multinationales, ne sont pas non plus auscultées. Il serait temps que l’État surveille les délocalisations de résultats permises via les filiales basées à l’étranger.

La CR rappelle que les prix agricoles sont dérisoires dans le prix final de nombreux produits : 0,05 € de blé dans une baguette, 0,07 € d’orge dans un litre de bière, 0,03 € de betterave dans un litre de cola, etc.

L’avenir pour l’agriculture et les agriculteurs passe bien par des réponses aux enjeux de revenu, de compétitivité intra et extra européenne, et d’installation-transmission ; ce sont ces attentes que les agriculteurs ont exprimé lors des mobilisations de ce début d’année 2024.

Et c’est bien parce que ce PJL ne traite pas de ces enjeux que pour la CR, le compte n’y est pas.

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