Dans un livre intitulé « La Solution libérale », en 1984 l’éditorialiste français Guy Sorman arguait : « Toute intervention extérieure au marché vient nécessairement diminuer sa performance. »
Mais de quelle performance parle-t-on quand il s’agit de nourrir les populations ? Pour la Coordination Rurale, ce précepte est totalement faux et ne s’applique pas à de nombreux domaines et notamment à l’agriculture.
D’ailleurs, Maurice Allais (prix Nobel d’économie) considérait, lui, que le libre-échange en agriculture ne peut fonctionner qu’à l’intérieur de régions suffisamment homogènes et protégées : « Dans tous les cas et en fonction d’objectifs à long terme, la mise en place d’un système protecteur modéré mais efficace doit être jugée hautement désirable ».

Bilan des politiques ultralibérales et dérégulatrices

Le marché agricole, malgré l’annihilation de toute intervention extérieure, n’est pas performant dès lors qu’il ne répond pas aux besoins des 702 à 828 millions de personnes dans le monde confrontées à la faim en 2021(1) tout en appauvrissant et en faisant disparaître les producteurs.

Depuis la réforme de la Pac en 1992, virage lors duquel l’Europe a inauguré sa stratégie de dérégulation progressive du secteur agricole, en soumission à la doctrine ultralibérale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la main invisible du marché n’a fait que dégrader la condition des agriculteurs ainsi que l’état de santé de l’agriculture européenne.

En 25 ans, cette politique a supprimé 56 % des exploitations agricoles en France et 25 % de celles de l’UE en 10 ans. Le tout, en étant incapable de redresser la balance commerciale du secteur alimentaire, toujours gravement déficitaire : l’UE importe 78,6 % du soja qu’elle consomme (source : FranceAgriMer). Le déficit européen en protéines représente l’équivalent de 17 millions d’hectares de soja importés et il manque globalement 28 millions d’hectares à l’UE pour assurer son autosuffisance alimentaire (source : think-tank Opera). Enfin, cette politique ultralibérale et dérégulatrice contribue plus ou moins indirectement à une hyper-spécialisation des productions, non sans conséquences économiques, sociales et environnementales, surtout en ce qui concerne les pays en voie de développement (PVD).

L’efficience du marché et sa capacité à s’auto-réguler constitue donc la première hypothèse erronée sur laquelle est basée la stratégie de l’UE et les réformes successives de la Pac qui en résultent. La deuxième hypothèse est la stabilité des marchés agricoles. Or, les marchés agricoles sont par nature instables du fait de la rigidité de la demande et l’élasticité de l’offre ainsi que par leur exposition aux aléas climatiques et géopolitiques auxquels s’ajoute le système spéculatif qui contribue énormément à une volatilité des prix chronique.

Alors que les grands pays renforcent leur politique de soutien à l’agriculture, l’Europe est à un pas de son total démantèlement

Alors que la véracité de ces deux postulats a été remise en cause par l’épreuve des faits, certains pays ont fait le choix de reconnaître l’importance stratégique du secteur agricole en lui accordant une politique agricole digne de ce nom et en réhabilitant des outils de régulation indispensables à le protéger.
C’est le cas du Brésil (qui a développé des débouchés alternatifs pour ses productions), de la Chine (qui maintient la protection douanière pour les productions considérées stratégiques pour le pays), du Canada et des États-Unis (qui ont instauré entre autres des aides contracycliques). Même le pays du libéralisme a « osé désobéir » à la doctrine de l’OMC protégeant son agriculture alors que l’Union européenne – le « bon élève de l’OMC » – n’ose pas aller si loin, préférant sacrifier ses agriculteurs au profit d’autres secteurs. C’est dans cette conjoncture que l’Europe a diminué le budget alloué à la PAC de 40 milliards d’euros, soit près d’une année budgétaire perdue.

Pour la CR, il n’est pas acceptable de diminuer le budget de la PAC sans instaurer au préalable des prix rémunérateurs (voir Prix rémunérateurs et Pac). Or, la garantie d’un niveau de vie équitable pour tous les agriculteurs, basée sur des prix rémunérateurs repose sur trois mesures clés :
– la régulation des productions agricoles et de leur prix sur la base de leur réelle valeur économique ;
– l’harmonisation des normes au sein de l’Europe ;
– la consécration de l’exception agriculturelle à l’OMC (voir Exception agriculturelle).

Équilibrer l’offre et la demande au niveau européen

C’est la condition essentielle pour assurer des prix stables et rémunérateurs qui permettent aux agriculteurs de satisfaire durablement les besoins des consommateurs dans un environnement préservé, tout en vivant normalement de leur activité. Pour cela, il convient de :

1) Se centrer sur le marché européen en défendant la préférence communautaire et l’exception agriculturelle à l’OMC.
Fondamentale pour une PAC sous bonne protection, la préférence communautaire doit être un outil de gestion qui protège l’agriculture européenne et organise ses productions en fonction des besoins des consommateurs. Elle garantit également des normes pour le consommateur en refusant les importations qui n’y répondent pas. La préférence communautaire est le socle d’une Europe harmonieuse luttant contre la concurrence déloyale que ce soit en Europe ou avec les pays tiers. Pour aller plus loin dans la préférence communautaire, et permettre à chaque État de l’appliquer, il est impératif de sortir l’agriculture du champ de compétences de l’OMC (voir Exception agriculturelle). Il est évident que de nombreux pays en voie de développement suivraient l’Europe, car leurs agricultures locales, détruites par nos exportations subventionnées, pourraient être développées vers la recherche de la sécurité alimentaire et le maintien des populations. C’est une des clés de la lutte contre la faim et pour la paix dans le monde afin de poser les bases d’une nouvelle croissance économique profitant tant aux pays en voie de développement qu’aux pays déjà développés.

2) Arrêter la concurrence déloyale et rééquilibrer nos productions :
• aux frontières de l’UE les importations à bas prix doivent être réévaluées d’un droit de douane adapté afin d’éviter le dumping par les moins-disants mondiaux. Les aides ne représenteront plus qu’une part marginale du budget en étant consacrées aux seuls agriculteurs placés en situation de handicap naturel ou engagés en conversion Bio. Plutôt que de protectionnisme, il s’agit en fait d’une forme intelligente de préférence communautaire, au bénéfice des producteurs et des consommateurs. La part des produits agricoles étant très faible dans les produits alimentaires, la hausse des prix à la consommation sera dérisoire.
• sur les marchés intérieurs ajuster l’offre à la demande en mettant en place des dispositifs de gestion et d’organisation des productions adaptés à chaque filière.

La question de la gestion coûteuse et difficile de la volatilité est ainsi réglée car les agriculteurs dégagent alors suffisamment de moyens pour s’assurer ou s’auto-assurer contre les risques climatiques et n’ont plus à faire face aux aléas liés à la volatilité des marchés, ceux-ci étant stabilisés.

Quels outils de régulation ?

Régulation des prix
La CR prône l’instauration d’un Observatoire européen des productions et des marchés (OEPM) et un ajustement des niveaux de production en fonction des variations des prix. L’OEPM répercuterait vers les organisations de producteurs les consignes d’ajustement de chaque grande production. L’ensemble des prix doit voir ainsi ses variations limitées dans des « tunnels » interconnectés de façon à garder une cohérence économique entre productions : une fois fixé un prix d’équilibre couvrant les coûts de production moyens, les prix pourraient varier entre un prix plancher (en dessous duquel se déclenche un stockage public ou privé) et un prix plafond (au-dessus duquel l’on recourt à du déstockage de régulation ou à des importations).

Cette régulation par le prix ne pourrait pas avoir lieu sans rétablir la préférence communautaire (voir paragraphe ci-dessus).

Régulation des volumes
Une régulation des prix ne peut pas se passer d’une régulation des volumes, afin de limiter le risque de surproduction (vérifié dans la période post-1992) qui entraînerait une dégradation des prix ou un risque de déstabilisation des marchés des pays extérieurs à l’UE, notamment ceux des pays en voie de développement.

Réduction du déficit de production agricole
Il manque à l’UE l’équivalent de 28 millions d’hectares (équivalent surface de ce que nous importons chaque année, qui représente la surface agricole utile française) pour assurer son autosuffisance alimentaire. Il s’agit en particulier de développer la production de protéines végétales dangereusement déficitaire, par des prix de protéagineux assurant aux agriculteurs une bonne rentabilité de leur production, ce qui entraîne une réduction de la production de céréales excédentaire puisque les terres de l’UE ne sont pas extensibles.

Le Rééquilibrage des productions représente donc un pas incontournable pour sécuriser l’indépendance alimentaire de l’Europe et redimensionner ou éliminer les impacts néfastes sur les pays tiers.

À noter que ces pays jusqu’aux années 90, avant que les Plans d’ajustement structurel interviennent, et qu’ils soient obligés – eux aussi – d’obéir aux diktats de l’OMC, de la Banque Mondiale, ou du FMI, avaient des outils de régulation (bien que des contextes socio-politiques soient tout de même défavorables à certaines catégories de producteurs…), démantelés progressivement pour enfin les exposer à la volatilité des prix agricoles mondiaux.

Parallèlement, la CR défend un système des quotas de production ajustables : redimensionner la production européenne et mondiale en fonction de la demande et de débouchés stables.
Dans une organisation mondiale des agriculteurs, dont la CR envisage la création depuis 1993, il serait possible d’envisager des accords pour organiser certaines productions pouvant aller jusqu’à des quotas par pays, ou par régions.

Vouloir, c’est pouvoir

Dans cet esprit, la CR a conçu avec l’EMB, organisation européenne de producteurs de lait, le programme de responsabilisation des marchés (PRM) pour réguler le marché du lait et permettre un prix rémunérateur et stable pour les éleveurs. Ce programme a une portée européenne et est appliqué en cas de déséquilibre du marché du lait (voir ci-dessous).
Il constitue une preuve incontestable que la régulation par les producteurs fonctionne. Il est à présent urgent de passer à une forme plus évoluée !

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