On entend trop souvent que le taux anormal de suicides chez les agriculteurs est lié aux problèmes économiques. Je crois, pour ma part, que c'est faire fausse route et que le « système » cherche un bouc-émissaire au lieu de se remettre profondément en cause.

Après m'être installé il y a 20 ans en polyculture-élevage, malheureusement au moment où la PAC se mettait en place, j'ai découvert à mon grand regret que le poids de l'ingérence administrative dénaturait totalement ce métier qui nécessite une implication que seule une réelle vocation et la satisfaction d'un sentiment d'autonomie permettent d'assumer.

Or, prenant pour prétexte des subventions qui ne sont là que pour corriger des distorsions qu'elle a elle-même contribué à créer, l'Administration nous noie sous des paperasses et des exigences compliquées et trop souvent peu claires. Elles donnent le sentiment d'être constamment et intentionnellement tenu à merci.

Les agriculteurs vivent sous la menace permanente d'avoir mal compris certaines règles de conditionnalité, oublier de cocher une case sur un document, dépasser une date de semis imposée de manière artificielle, se voir privé de DPU pour des parcelles qu'ils exploitent depuis des années au motif que c'était un autre qui était là durant les années prises soudain pour référence, éviter le spectre des PT5 (Prairie temporaire + de 5 ans), déclarer une surface qui ne correspond pas à celle qui figure dans les ordinateurs... Tout cela pendant qu'une vache est en train de vêler et que le foin doit être rentré avant l'orage !

On n'y comprend plus rien, on passe son temps à démêler cet indescriptible mêli-mêlo, on se sent toujours en porte-à-faux et on en perd véritablement la tête au point d'en arriver à être malheureusement tenté de passer à l'acte.

Les changements incessants dans la réglementation et le manque de vision claire de la politique agricole sont en décalage total par rapport aux décisions que l'agriculteur est tenu de prendre au quotidien et qui ont, elles, des conséquences à long terme : monter un troupeau, amender des terres, construire un bâtiment, procéder au drainage de parcelles, etc...

C'est de là que provient ce sentiment d'insécurité et non pas de problèmes liés à la nature ou à l'acte de produire (avec les conséquences économiques normales qui en découlent) que l'agriculteur est psychologiquement en mesure d'assumer (et qu'il souhaite assumer) car ils font partie du métier.

Malgré les déclarations de « simplification » il n'en est rien dans la réalité. Il est grand temps de remédier à cet état de fait, et pour cela il faut d'abord en prendre conscience.


Jean Cauwenberghe

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