Lundi 13 juin dernier, la Coordination Rurale Poitou-Charentes devait rencontrer Stéphane Le Foll à Poitiers (86). Annulée au dernier moment, cette rencontre nous aurait pourtant permis d'exposer nos revendications.

Voici les propos que nous aurions aimé lui tenir :

Monsieur le ministre,

Lors de sa mise en place, les objectifs de la PAC étaient :

  • Assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ;
  • Stabiliser les marchés ;
  • Garantir la sécurité des approvisionnements et un niveau de prix raisonnable au consommateur.

Certes, pour le moment, nous avons un prix raisonnable pour le consommateur, mais il n’y a plus de sécurité des approvisionnements. Les mécanismes de stabilisation des marchés avec des stocks stratégiques ont été supprimés (ceux qui les avaient créés doivent se retourner dans leur tombe !). Nous n’avons donc plus de marché régulé mais une absence de stocks stratégiques pour faire face à une très mauvaise récolte et nous mettant en très grande dépendance du marché américain en ce qui concerne les protéines végétales.

Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un système de spéculation catastrophique pour les producteurs, et peut-être demain aussi pour les consommateurs si, malheureusement, nous avions une très mauvaise récolte mondiale.

Pour notre région Poitou-Charentes, terre d’élection de Madame Ségolène Royal, la majorité des productions se trouve avec des cours catastrophiques, que ce soit pour le lait, la viande (toutes espèces) ou les grandes cultures. Cette situation entraîne des résultats économiques négatifs pour de très nombreuses exploitations, pour certaines un abandon par leurs partenaires financiers, et pour certaines familles, une situation dramatique où l’épouse, les enfants ou les parents retrouvent l’exploitant au bout d’une corde au fond de la grange (plusieurs centaines par an).

Lorsqu’un salarié se suicide sur son lieu de travail ou est victime d’un accident de travail, on met en cause son employeur. Alors je me demande qui peut être mis en cause pour ces suicides. L’État français ? Le ministre de l’Agriculture ? L’Union européenne ?

Pour moi, certainement l’État français, car nous ne pouvons pas dire que l’administration française brille par ses compétences en ce moment.

  • Vu la complexité de la gestion de la PAC, notamment le dessin des SNA pour lesquels ceux qui ont géré le dossier n’ont pas été capables de faire ce que n’importe quel gamin de dix ans est capable de faire avec un ordinateur et un logiciel de dessin. 
  • Les avances de trésorerie remboursable (ATR) que les agriculteurs en redressement judiciaire (les plus faibles d’entre nous) vont recevoir 9 mois après les autres agriculteurs.
  • ou certaines aides dont on réclame le remboursement à de jeunes agriculteurs alors qu’elles ont été reçues par leurs prédécesseurs, 15 ans auparavant (à supposer que ces aides étaient illégales, quelles sont les sanctions prévues pour les fonctionnaires qui les ont attribuées ?).

Nous avons souvent l’explication "c’est l’Europe" ou "c’est Bruxelles" ; certes, la réglementation vient de là-bas, et nous serions un pays qui reçoit plus d’aides qu’il n’en met dans le pot commun, nous pourrions dès lors accepter la situation. Mais nous, Français, finançons 21 milliards d’euros pour un retour sur investissement de 13 milliards d’euros. Nous sommes donc contributeurs net de 8 milliards d’euros.

Mes grands-pères - qui m’ont appris les bases de gestion d’une exploitation agricole - m’ont enseigné que c’est celui qui paie qui commande. Donc, avec 8 milliards, vous devez pouvoir expliquer aux fonctionnaires et politiciens de Bruxelles qu’il nous faut de la simplification administrative, une régulation des marchés et une harmonisation entre pays (nous avons des coûts de production plus élevés que nos voisins européens à cause de normes et réglementations différentes), d’autant plus que ces 8 milliards correspondant à ce que nous coûte ces fonctionnaires et politiciens.

Pour sortir des difficultés actuelles, vous nous proposez :

l’agriculture biologique

Certes, l’agriculture biologique surfe sur un effet de mode mais elle est sur un marché de niche avec plus d’aides que l’agriculture conventionnelle pour une production par hectare beaucoup plus faible. En encourageant des reconversions massives, vous allez déséquilibrer le marché de l’agriculture biologique entraînant la ruine d’une partie des agriculteurs qui la pratiquent, d’autant plus que, par manque de budget, vous n’allez pas être en capacité de verser la totalité des aides promises à la reconversion et au maintien.

l’agrologie (?) l’agroécologie (?)

Sur ce point, il y a quelques détails que nous ne comprenons pas alors même que nous sommes en accord avec vous sur les objectifs. Pourquoi vanter le non labour et assister au concours de labour de la FNSEA et des JA et refuser d’assister au festival du non labour et semis direct (NLSD), organisé par la Coordination Rurale ? Est-ce que vous croyez ce que vous dites ou est-ce simplement une stratégie politique ? Le prochain festival du non labour et semis direct aura lieu le 21 septembre 2016 au lycée agricole de Courcelles-Chaussy, près de Metz, et sachez que nous serions ravis de vous y recevoir.

L’agrologie est d’autant moins complexe avec des rotations longues, c'est-à-dire des rotations avec des prairies et des légumineuses. De ce fait, nous ne comprenons pas pourquoi tout le monde nous explique pourquoi il faut des prairies mais en parallèle qu’il ne faut pas manger de viande. De plus, la concentration des élevages sur certaines régions entraîne la disparition de l’élevage sur d’autres en augmentant le trafic routier pour le transport des céréales vers les élevages et le transport du compost des zones d’élevages vers les plaines céréalières.

Dans ce contexte très compliqué au niveau économique (la situation est en train de passer d’inquiétante à alarmante - 14 % des agriculteurs envisagent d’arrêter l’exploitation dans l’année selon un sondage de l’IFOP paru en mars 2016 dans la France Agricole -) et au niveau technique (le non-renouvellement de l’homologation de certaines molécules qui nous conduit à des impasses techniques ou qui nous obligent à utiliser d’autres produits à des doses plus élevées avec un coût plus élevé - avec cette année une météo très capricieuse qui a mis à mal une partie des récoltes-), il semblerait judicieux de ne pas exaspérer les agriculteurs avec un acharnement des contrôles car nous sommes déjà surveillés par satellite en ce qui concerne les cultures, par les services de la protection des populations quand nous amenons nos animaux à l’abattoir et par les différents services qualité de nos clients.

En conclusion, pour que les agriculteurs relèvent la tête, il leur faut des prix rémunérateurs. Aujourd’hui, nous sommes considérés comme des mendiants alors que nous travaillons et nourrissons toute la population. Tout le monde nous parle de compétitivité, mais comment être compétitif alors que nous vendons au cours mondial, que toutes nos charges sont françaises et que les normes sont de plus en plus contraignantes ? Nous pouvons accepter ces normes si nous avons des contreparties. Avec plusieurs centaines de suicides par an, beaucoup d’exploitations au bord du gouffre, votre rôle, Monsieur le ministre, est d’arrêter ce génocide paysan.

Nous vous prions de croire, Monsieur le ministre, en l'assurance de notre haute considération.

Eric Menanteau

Président de la Coordination Rurale Poitou-Charentes

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