Il y a des jours de mars, où l’hiver s’efface devant les prémices du printemps. Ces jours m’emmènent, paysan laborieux, les pieds dans un ruisseau, muni d’une canne trop grande, et d’un leurre un peu trop rêche. Jours paisibles de liberté, avant l’écrasante fatigue du printemps et l’été qui réduira le loisir des gens de labeur. Oui, dans ces moments-là, j’aime taquiner la truite.

Il y a des jours de novembre, où les semis s’achèvent tandis ce que le brouillard retombe sur les odeurs de l’automne. Ces jours amènent un pèlerinage de chargés de projets d’une collectivité publique dans une salle communale éclairée de ses néons blafards. Un fermier et quelques propriétaires attendent. Monsieur le Maire passe et s’empresse. Arrive notre apôtre, confus de son retard, débarqué d’une si convenable voiture électrique et accoutré comme un professeur d’éducation physique. Des cartes sont déroulées, un Powerpoint est projeté à grand renfort de « switch VGA ou HDMI ». Devant la rurale assemblée, l’État-major projette son plan de bataille : « L’Europe nous impose de dévier la rivière pour favoriser ses méandres, car, une étude l’a prouvé, le méandre suscite chez la truite une aisance libidineuse favorable à sa reproduction ». Par conséquent, la puissance publique nous annonce, à mots feutrés, le spectre d’une expropriation au motif stratégique reposant sur le libertinage des poissons. Le tracé proposé mange sur les fonds privés agricoles, ne garantit plus le lit de la rivière et pousse le fermier jeune installé un peu plus loin pour le bien supposé des truites en rut. « Nous vous payerons le prix » dit l’émissaire. Ainsi, Judas, par ses trente deniers, fit acquérir le Champ du Potier. Et la truite se vit consacrer les plaisirs de sa chair.

Plus sérieusement, il est inacceptable que des terres agricoles servent de garantie, de variable d’ajustement ou encore de faire-valoir pour des projets d’aménagement portés par la collectivité. Le droit de propriété et la liberté d’entreprendre s’effacent au profit d’un anthropomorphisme*  arbitraire... Et celui-ci touche plus loin que nos élevages, jusqu’à la terre que nous exploitons. Tandis ce que la SAFER Rhône Alpes annonce 609 ha / an de déprise agricole sur notre département, et ce, après son intervention, nous nous acheminons doucement vers un peu plus pour des motifs d’une légèreté regrettable. La collectivité sait nous trouver, nous et nos machines, pour appuyer les services techniques lors des intempéries de toutes sortes. Qu’elle respecte au moins notre outil de travail et la sueur de nos anciens en modérant quelque peu les appétits de ses fantasmes.

*Donner à l’animal des sentiments et des raisonnements propres à l’Homme.

Pierre-Alban Olender, administrateur à la CR 26, céréalier et éleveur de bovins à Lens Lestang,

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